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Science en faits
20 novembre 2014

Qui se ressemble s'assemble

La couleur d’un individu est souvent une source d’information pour ses congénères à l’instar des plumages exubérants de certains oiseaux, ou des abdomens irisés d’araignées saltiques du genre Maratus. La coloration peut cependant aussi être adressée à des organismes d’espèces différentes qui, après une période d’éducation, perçoivent et intègrent l’information contenue dans ce signal et agissent en conséquence. Nous évitons par exemple de nous approcher trop près d’un frelon ou d’une guêpe que nous reconnaissons au premier coup d’œil à leurs alternances d’anneaux jaunes et noirs au niveau de l’abdomen. Une piqûre lorsque nous étions jeunes, ou tout simplement le récit par un parent de ses propres mauvaises expériences suffisent à nous éloigner définitivement d’un tel danger.

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Photo_7Photographies de deux guêpes appartenant à la famille des Vespidés, le Poliste gaulois (Polistes dominulus) en haut et la Guêpe germanique (Vespula germanica) en bas. Les deux espèces, comme beaucoup d'autres de la même famille ainsi que d'autres Hyménoptères présentent une coloration semblable que les prédateurs évitent parce qu'ils ont appris qu'elle était associée à un danger, celui d'être piqué. On parle de mimétisme mullérien. (Photo du haut : Didier Descouens, photo du bas : Fir0002)

Des Diptères comme les Syrphes, parfaitement inoffensifs, profitent de cette aversion en mimant les colorations d’espèces dangereuses et subissent ainsi moins fréquemment les attaques de prédateurs insectivores. Ce phénomène est appelé mimétisme batésien du nom d’Henry Walter Bates, un entomologiste britannique du 19ème siècle, darwinien de la première heure, qui le décrivit en 1863 entre des espèces de papillons amazoniens. Le mimétisme batésien ne fonctionne que si les espèces inoffensives mimétiques ne sont pas trop nombreuses. Dans le cas contraire, le prédateur potentiel ayant trop de chances de tomber sur une proie inoffensive pendant sa période d’apprentissage, ne s’éduquerait pas.

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Photographie d'un Diptère Syrphidé, Episyrphus baltheatus en train de butiner le nectar d'une fleur. Le motif jaune et noir de l'abdomen rappelle celui de nombreuses guêpes susceptibles de piquer un agresseur. Porter un tel motif procure un avantage à cette mouche parfaitement inoffensive qui trompe des prédateurs potentiels trop prudents. Ce phénomène porte de nom de mimétisme batésien. Cet avantage n'est effectif que si un nombre limité d'espèces imitent des espèces toxiques sinon les prédateurs n'apprennent pas efficacement à éviter le motif signal. (Photo : André Karwath aka Aka)

Il en va tout autrement d’un autre type de mimétisme décrit aussi au 19ème siècle par un zoologue allemand Fritz Müller et qui porte son nom : le mimétisme mullérien. Plusieurs espèces toxiques peuvent présenter des couleurs semblables, à l’image de nombreux hyménoptères jaunes et noirs ou de papillons appartenant au genre Heliconius, non comestibles par les oiseaux. L’avantage procuré par ce mimétisme est une diminution des coûts associés à l’éducation du prédateur potentiel. Plus le nombre d’individus toxiques ou dangereux qui portent la même couleur signal est grand, moins il faut de temps aux populations de prédateurs pour s’éduquer et éviter ces individus. La sélection naturelle devrait donc favoriser les ressemblances entre espèces toxiques, et la nature offre quelques exemples de telles convergences morphologiques.

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Photo_1Photographies de deux grenouilles Dendrobatidés du genre Ranitomeya. En haut Ranitomeya fantastica et en bas, le morphe "varadero" de Ranitomeya imitator. La convergence des colorations est saisissante chez ces deux espèces dont les glandes cutanées sécrètent des toxines très puissantes. Ce phénomène est qualifié de mimétisme mullérien. (Photo du haut : Evan Twomey, photo du bas : John Clare dont je recommande vivement la galerie de photographies d'amphibiens !)

L’un des rares cas connus chez les vertébrés concerne de petites grenouilles appartenant à la famille des Dendrobatidés et vivant dans les forêts humides péruviennes. La peau de ces animaux présente en effet de très nombreuses glandes qui sécrètent des substances toxiques utilisées par exemple par les populations autochtones pour enduire les pointes de leurs instruments de chasse. Une espèce en particulier, Ranitomeya imitator existe sous près d’une demi-douzaine de morphes très semblables par la couleur à d’autres espèces du genre Ranitomeya (R. fantastica, R. variabilis et R. summersi) avec lesquelles elle peut être en sympatrie.

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Photographies de deux grenouilles Dendrobatidés du genre Ranitomeya. En haut Ranitomeya variabilis et en bas, le morphe "tacheté" de Ranitomeya imitator. La variabilité des couleurs de l'espèce Ranitomeya imitator est étonnante (comparer le morphe tacheté avec le morphe varadero juste au dessus). Le mimétisme mullérien ne fait ici aucun doute. (Photo du haut : John Clare, photo du bas : Gabsch)

Evan Twomey, un chercheur de l’université d’East Carolina (en Caroline du Nord au Etats-Unis) et ses collaborateurs danois, ont récemment montré que ce mimétisme mullérien était impliqué dans la naissance de nouvelle espèces, on parle de spéciation. Leur travail est publié dans la revue Nature Communications. Ils se sont intéressés à deux morphes de R. imitator dont les aires de distribution sont contigües. Le morphe « varadero » imite R. fantastica et le morphe « rayé » imite R. variabilis deux espèces proches également toxiques. Afin de comprendre comment les deux morphes sont maintenus, Evan Twomey et ses collaborateurs ont échantillonné des grenouilles dans la zone de contact entre les deux aires de distribution où les deux morphes peuvent s’hybrider. Le long de cette zone de transition, les colorations des grenouilles changent très vite d’un morphe à l’autre, c'est-à-dire sur des distances de quelques centaines de mètres seulement ! L’étroitesse de cette zone d’hybridation plaide en faveur d’une forte sélection naturelle en faveur de l’un ou de l’autre des deux morphes selon que l’on s’écarte vers l’aire de distribution de R. fantastica ou R. variabilis, les espèces "modèles". Les hybrides entre les individus des deux morphes présentant des caractéristiques intermédiaires, ils ne miment bien ni l’un ni l’autre des morphes et bénéficieraient donc moins de l’effet de protection que procure le mimétisme. Une zone d’hybridation étroite est aussi le résultat de la très faible capacité à disperser des amphibiens en général, des grenouilles en particulier.

Photo_2Photographie d'un hybride entre le morphe varadero et le morphe rayé de Ranitomeya imitator. Cette photographie provient d'une zone de transition entre les aires de distribution des deux morphes et la coloration de cet hybride est intermédiaire entre celles des deux morphes. Dans le contexte d'un mimétisme mullérien, ce type de motif n'est pas très avantageux pour l'hybride puisqu'il n'imite bien ni l'un ni l'autre des motifs originaux et pourrait donc subir davantage d'attaques de prédateurs. (Photo : Jean-François Brousseau)

Ce ne sont cependant pas uniquement les colorations des animaux qui changent le long de la zone de transition entre les deux morphes : les auteurs de cette étude constatent en effet que les chants des mâles sont différents ainsi que leurs marqueurs génétiques. Ces résultats suggèrent que les flux génétiques sont réduits entre les populations de ces deux morphes ce qui pourrait résulter d’un isolement reproducteur par exemple lié à la couleur ou à des variations dans le chant. En résumé, ces données montrent un processus de spéciation dans ses toutes premières étapes et identifient la sélection en faveur du mimétisme comme la cause ultime la plus probable de cette divergence. Pour aller plus loin dans la vérification de cette hypothèse, les auteurs de cette étude ont mené des tests d’appariement entre les différents morphes. Ils ont par conséquent observé les préférences des mâles des morphes varadero et rayé pour les femelles des deux morphes en quantifiant le temps passé à courtiser chacun des deux types. Les mâles du morphe rayé issus de populations proches de la zone de transition (et donc potentiellement à même de rencontrer des mâles du morphe varadero) préfèrent courtiser des femelles de leur propre morphe plutôt que des femelles de type varadero. Cette expérience vient démontrer un certain degré d’isolement reproducteur entre populations de morphes différents.

L’origine des espèces, c'est-à-dire l’isolement d’un ensemble de gènes qui évolue ensuite indépendamment d’autres ensembles pose encore aujourd’hui de nombreuses questions quant aux mécanismes impliqués. Ces interrogations demeurent notamment parce que la naissance des espèces d’organismes pluricellulaires se produit à des échelles de temps qui ne nous sont pas facilement accessibles. Des études comme celle-ci permettent à la fois de quantifier le processus de divergence génétique dans le temps et dans l’espace mais aussi d’accéder aux causes de la spéciation…et il est amusant de constater que c’est dans les forêts équatoriales, là même où Bates et Müller ont donné un sérieux coup de pouce à la théorie darwinienne en proposant des exemples de sélection naturelle, que se trouve également l’une des clés pour comprendre l’origine des espèces…

Référence : Reproductive isolation related to mimetic divergence in the poison frog Ranitomeya imitator, (2014) Nature Communications vol 5

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